Le 21 mars 2025, des chercheuses et chercheurs, des spécialistes juridiques et des leaders des universités se sont rassemblés à l’Université d’Ottawa pour un atelier d’une journée sur un des enjeux les plus urgents de l’éducation supérieure : la liberté universitaire.
Des guerres culturelles aux lois qui touchent les campus : un portrait canadien
La matinée a commencé par une exploration en profondeur du contexte juridique et culturel canadien. Le professeur (Université de Montréal) a présenté son , qui lie certaines polémiques récentes – des guerres culturelles de 2019 aux lois « anti-woke » des États-Unis – à un certain nombre de dynamiques universitaires en pleine évolution qui ont marqué la dernière année.
La professeure (Université de Waterloo) a soulevé de sérieuses inquiétudes en ce qui concerne la Loi de 2024 pour renforcer la responsabilisation et les mesures de soutien aux étudiants. Elle avertit que cette loi pourrait malencontreusement exposer le corps professoral à du harcèlement et brider la liberté universitaire sous prétexte d’un soutien à la lutte contre le racisme et aux initiatives de santé mentale. Le professeur (Université de Sherbrooke), lui, a exploré la Loi sur la liberté académique dans le milieu universitaire du Québec, suggérant qu’elle ne résoudra probablement pas les problèmes systémiques visés même si elle n’a pas occasionné les dégâts craints par certaines personnes.
(Université de la Colombie-Britannique) a placé ces politiques provinciales dans un contexte national, rappelant aux personnes participantes l’hétérogénéité des mesures de protection de la liberté universitaire au pays.
Un angle mondial : double dépendance et leçons internationales
La deuxième table ronde a élargi la portée du débat sur la liberté universitaire à l’échelle mondiale. La professeure et le professeur (Université McGill) ont émis une mise en garde contre la « double dépendance » des universités – à la fois aux financements publics et aux dons privés – qui peut saper discrètement l’indépendance universitaire. Ils ont également discuté des menaces que posent l’émergence de l’IA et la surveillance numérique pour la liberté de la recherche.
Le professeur (Université Georg-August de Göttingen) a proposé une analyse juridique comparative entre le Canada, l’Allemagne et les États-Unis, axée sur les mesures de protection de la liberté universitaire et leur application, et sur la compréhension du principe lui-même. D’après lui, la liberté universitaire ne fait pas que garantir l’expression des idées; elle conditionne aussi la recherche, l’enseignement et la gouvernance – une nuance cruciale souvent perdue dans le débat public.
Des conférenciers internationaux ont fourni des éléments de contexte inquiétants. Salvador Herencia, candidat au doctorat (Université d’Ottawa), a passé en revue la protection internationale des droits de la personne en ce qui a trait à la liberté universitaire. Elthon Rivera Cruz (Iniciativa Puentes por los Estudiantes de Nicaragua [IPEN], Nicaragua) et David Gómez Gamboa (Aula Abierta, Venezuela) ont quant à eux donné leur témoignage direct sur l’érosion de la liberté universitaire sous l’autoritarisme. Leurs récits ont souligné à quel point l’affaiblissement des cadres juridiques vulnérabilise les universitaires et les communautés étudiantes.
Points à retenir : cinq thèmes principaux
, stagiaire postdoctoral à l’Université de Guelph, a proposé cinq points à retenir sur les discussions du matin :
- La liberté universitaire et la démocratie sont intimement liées.
- Les menaces qui pèsent sur la liberté universitaire sont réelles et doivent être prises au sérieux.
- La polarisation politique complique le dialogue au sein des universités et à l’extérieur.
- Le discours public sur les conflits qui touchent les campus est souvent exagéré.
- Des incertitudes demeurent quant à la manière dont les droits garantis par la Charte s’appliquent aux universités.
Il a également présenté le concept du « tact universitaire » – une manière de penser les considérations éthiques qui s’affranchit des cadres juridiques, dans le discours et les comportements universitaires.
Équité et liberté universitaire : conflit ou complémentarité?
La dernière table ronde portait sur une question résolument actuelle : comment la liberté universitaire et les initiatives d’équité, de diversité et d’excellence en matière d’inclusion (EDEI) coexistent-elles et se renforcent-elles mutuellement?
Les professeurs Awad Ibrahim (vice-provost, EDEI), Graham Mayeda (Comité du ³§Ã©²Ô²¹³Ù sur la liberté académique) et (Association des professeur.e.s de l’Université d’Ottawa) ont réfléchi à l’impact des politiques d’inclusion sur le discours universitaire. D’après eux, au lieu d’être en opposition, les initiatives d’EDEI et la liberté universitaire peuvent se renforcer mutuellement pour créer un environnement intellectuel pluraliste plus riche.
Les thèmes de l’hospitalité, de la reconnaissance des préjudices et de l’importance d’un débat inclusif étaient centraux. Les conférenciers ont encouragé les universités à bâtir des espaces de liberté d’expression qui laissent place au désaccord courtois, dans une culture dite « de l’agonisme ».
Pourquoi est-ce important maintenant?
Les récents événements ont mis en exergue l’urgence de ces conversations. Aux États-Unis, des établissements comme l’Université Columbia ont été privés de financement fédéral très récemment; des activistes ont été mis en détention, et des décrets restreignent les limites de l’expression universitaire. Au Canada, la liberté universitaire entre dans l’arène politique, au moment où les élus conservateurs font la guerre à l’« idéologie woke » sur les campus.
Dans cette conjoncture, l’atelier organisé par l’Université d’Ottawa n’était pas simplement à propos : il était urgent. Il a rappelé aux personnes participantes que la liberté universitaire n’est pas une idée abstraite. C’est une réalité que beaucoup vivent. Elle évolue avec les lois, les courants politiques, les politiques des établissements et le courage de celles et ceux qui continuent de poser des questions difficiles.
« Loin des discussions théoriques et sur fond d’actualité, l’atelier a mis en lumière l’importance d’échanger des idées pour bâtir des communautés universitaires plus résilientes », commente la professeure , codirectrice du , qui a accueilli des événements semblables sur les « libertés fondamentales » en 2024-2025. « Le Centre de droit public continuera de travailler sur ces enjeux et de nouer des collaborations dans les domaines de la liberté universitaire et de la liberté d’expression. »
Comme l’a clairement montré l’atelier, défendre la liberté universitaire n’est pas une action ponctuelle : c’est un effort continu de vigilance, de dialogue et d’apprentissage collectif.
L’événement a été organisé collaborativement par le Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, le Cabinet du vice-provost, Équité, diversité et excellence en matière d’inclusion et la .