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Le gouvernement fédéral peut-il offrir « un endroit où tous les Canadiens peuvent se sentir chez eux »? - Carolyn Whitzman

Par Carolyn Whitzman

Chercheure invitée de la Banque de Montréal, Institut d’études féministes et de genre, l’Université d’Ottawa

Carolyn Whitzman
campus de l'université d'Ottawa
Oui. Dix façons d’atteindre cet objectif d’ici 2030.

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ConsidĂ©rer l’initiative sur le plan des politiques en ce qui a trait Ă  la fourniture de logements comme un droit fondamental et un besoin de tous les citoyens. La StratĂ©gie nationale sur le logement de 2017 marque un retour au leadership fĂ©dĂ©ral en matière de logement, après presque trois dĂ©cennies de nĂ©gligence politique. Toutefois, de nombreux commentateurs ont notĂ© qu’il existe un Ă©cart important entre l’objectif louable de la stratĂ©gie, consistant au cours des dix prochaines annĂ©es Ă  rĂ©pondre aux besoins de 1,7 million de mĂ©nages qui vivent dans des logements inabordables et/ou inadĂ©quats, et les mĂ©canismes existants pour atteindre cet objectif. 
Une bonne stratégie en matière de logement a besoin de définitions claires, d’objectifs réalistes mais ambitieux et de mécanismes permettant de passer d’un modèle fondé sur l’habitation spéculative de luxe à un système qui répond aux besoins de la plupart des Canadiens.

Logement Ă  Vancouver

Contexte 

  • La dernière stratĂ©gie du gouvernement fĂ©dĂ©ral en matière de logement remonte Ă  1993. 
  • En 1996, le gouvernement fĂ©dĂ©ral a transfĂ©rĂ© la responsabilitĂ© du logement abordable aux gouvernements provinciaux et territoriaux (P/T); en Ontario, cette responsabilitĂ© a Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e aux administrations locales en 2000. 
  • Depuis la fin des annĂ©es 1980, lorsque le gouvernement fĂ©dĂ©ral a commencĂ© Ă  dĂ©sinvestir dans le logement sans but lucratif, l’itinĂ©rance a augmentĂ© de façon exponentielle. Actuellement, parmi les quelque 235 000 personnes qui vivent au moins un Ă©pisode d’itinĂ©rance au cours d’une annĂ©e, on trouve une proportion croissante de femmes, de familles, de jeunes et de nouveaux arrivants au Canada, et un nombre honteusement disproportionnĂ© d’Autochtones (28 Ă  34 % de la population des refuges, comparativement Ă  4,3 % de la population nationale). 
  • Plus de la moitiĂ© des mĂ©nages canadiens ont de la difficultĂ© Ă  payer leur loyer (et c’est sans parler de l’accession Ă  la propriĂ©tĂ©) dans la plupart des zones urbaines les plus proches des emplois, des services et du transport en commun. La dĂ©pendance qui en rĂ©sulte Ă  l’égard de l’automobile a d’énormes  du point de vue du changement climatique, tout comme l’inefficacitĂ© Ă©nergĂ©tique de nombreuses habitations, en particulier dans le Nord. Lorsqu’on Ă©value le vĂ©ritable coĂ»t sociĂ©tal d’un logement inabordable, il faut tenir compte des coĂ»ts du transport et de l’énergie.

Facteurs à considérer

  • De 1965 Ă  1980, environ 10 % des nouveaux logements au Canada ont Ă©tĂ© construits directement par le gouvernement et d’autres promoteurs sans but lucratif. En 1972, un rapport d’un groupe de travail fĂ©dĂ©ral recommandait que 45 % de la production de logements soit sans but lucratif, de prĂ©fĂ©rence des coopĂ©ratives, appuyĂ©es par des prĂŞts gouvernementaux Ă  des taux infĂ©rieurs au marchĂ© et des subventions au logement. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral ne divulgue plus d’information sur les logements sans but lucratif achevĂ©s, mais en 2018, . 
  • Au dĂ©but des annĂ©es 1970, alors que la population Ă©tait bien moindre, plus de 100 000 logements conçus spĂ©cialement pour la location Ă©taient construits chaque annĂ©e au Canada. Ă€ la fin des annĂ©es 1990, ce nombre avait chutĂ© Ă  moins de 10 000 par annĂ©e. 
  • Le problème actuel n’est pas liĂ© Ă  l’offre globale de logements, mais Ă  une offre excĂ©dentaire de logements de luxe destinĂ©s aux investisseurs nationaux et Ă©trangers. Vancouver, par exemple, prĂ©sente un taux Ă©levĂ© d’offre de logements par habitant, mais Ă  des prix qui ne rĂ©pondent pas aux besoins de la plupart des rĂ©sidents. 

Recommandations

  1. Le Canada doit commencer par rĂ©tablir une dĂ©finition nationale du logement abordable, fondĂ©e sur une proportion du revenu mĂ©dian des mĂ©nages d’une rĂ©gion mĂ©tropolitaine ou rĂ©gionale (appelĂ© RMM, ou revenu mĂ©dian rĂ©gional) consacrĂ©e au loyer ou Ă  l’hypothèque, plus les impĂ´ts fonciers. Dans les annĂ©es 1980, il s’agissait de 30 % du revenu pour 40 % de la population la plus pauvre. Il serait prĂ©fĂ©rable d’établir trois catĂ©gories de mĂ©nages qui ont besoin d'aide, Ă  savoir les mĂ©nages Ă  revenu extrĂŞmement faible (moins de 20 % du RMM – mĂ©nages touchant des prestations d’invaliditĂ© ou autres), les mĂ©nages Ă  faible revenu (mĂ©nages se situant entre 20 et 50 % du RMM – souvent au salaire minimum) et les mĂ©nages Ă  revenu moyen (entre 50 et 80 % du RMM – souvent de jeunes professionnels). Une dĂ©finition normalisĂ©e permettrait d’obtenir une information comparable d’une administration Ă  l’autre et de s’éloigner de la notion nuisible que le logement abordable a quelque chose Ă  voir avec les loyers moyens actuels dans les grandes villes. 
  2. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral doit accorder la prioritĂ© aux besoins des mĂ©nages Ă  très faible revenu qui risquent de devenir sans-abri. Le principe du logement d’abord fonctionne. Les loyers des mĂ©nages Ă  revenu modĂ©rĂ© peuvent subventionner de façon indirecte les mĂ©nages Ă  très faible revenu dans les ensembles de logements abordables, mais il n’existe aucun moyen de fournir des logements Ă  loyer modĂ©rĂ© qui ne bĂ©nĂ©ficient pas d’un niveau Ă©levĂ© de subventions de construction. En outre, les mĂ©nages Ă  très faible revenu peuvent avoir besoin d’une allocation de logement transfĂ©rable pour couvrir leur part des coĂ»ts de fonctionnement. 
  3. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral doit Ă©galement accorder la prioritĂ© aux besoins de logement des peuples autochtones, que ce soit dans les rĂ©serves, dans le Nord ou dans les zones urbaines. Cette stratĂ©gie parallèle doit ĂŞtre , en utilisant autant que possible des matĂ©riaux locaux et en renforçant leurs capacitĂ©s financières et de construction. 
  4. Les trois ordres de gouvernement doivent travailler ensemble dans le cadre de leurs rĂ´les respectifs. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral, qui reçoit , doit assumer la responsabilitĂ© principale du financement direct de la construction de logements abordables et des hypothèques, ainsi que de la rĂ©forme des leviers fiscaux et financiers indirects pour accroĂ®tre l’offre de logement abordable. Les provinces et les territoires doivent assumer la responsabilitĂ© première de relier d’autres infrastructures, comme le transport en commun, les Ă©coles et les services de santĂ©, au logement abordable. Les administrations locales doivent quant Ă  elles permettre la crĂ©ation de logements abordables en Ă©tablissant des objectifs ambitieux, en identifiant, rĂ©servant et attribuant des sites prioritaires pour des logements abordables, en procĂ©dant au zonage dans une optique d’abordabilitĂ©, en accĂ©lĂ©rant le traitement des demandes de logements abordables et en Ă©liminant les obstacles comme les exigences minimales de stationnement dans les zones bien desservies par le transport public.
  5. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral doit Ă©laborer un ensemble d’objectifs liĂ©s aux besoins en logements abordables pour les catĂ©gories Ă  faible revenu, Ă©tablir les coĂ»ts de mĂ©canismes axĂ©s sur ces objectifs au cours des dix prochaines annĂ©es, et fournir un processus de surveillance transparent. Il doit Ă©galement lier tout partage des coĂ»ts ou toute subvention directe aux provinces/territoires et aux municipalitĂ©s Ă  l’existence de plans de logement assortis de critères semblables. Certains groupes, notamment les Autochtones, les femmes seules plus âgĂ©es, les femmes et les enfants qui fuient la violence, les jeunes qui ne sont plus placĂ©s en famille d’accueil, les personnes handicapĂ©es et les rĂ©fugiĂ©s, ont des problèmes particuliers qui influent sur leur capacitĂ© d’accĂ©der aux logements abordables disponibles en quantitĂ© limitĂ©e dans la plupart des rĂ©gions du Canada. Leurs besoins en logement doivent faire l’objet de plans particuliers. 
  6. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral doit appuyer des solutions de rechange sans but lucratif au logement spĂ©culatif, en visant Ă  accroĂ®tre la part de ces solutions de rechange Ă  30 % de toute la production de nouveaux logements au cours des dix prochaines annĂ©es. Il s’agit, entre autres, des logements sociaux, des , des , des modèles de propriĂ©tĂ© avec participation limitĂ©e et des fiducies foncières communautaires. L’une des meilleures façons pour le gouvernement fĂ©dĂ©ral d’appuyer ces solutions de rechange est d’offrir des garanties de prĂŞts afin de renforcer, au sein du secteur financier, la confiance Ă  l’égard de ces solutions de rechange. Un deuxième grand mĂ©canisme pour les trois ordres de gouvernement consiste Ă  louer ou Ă  donner des terrains gouvernementaux sous-utilisĂ©s et « paresseux » Ă  des projets de logements abordables sans but lucratif. Une troisième option, telle que pratiquĂ©e au QuĂ©bec, est de financer l’assistance technique pour le dĂ©veloppement sans but lucratif. 
  7. Le gouvernement fédéral doit également recommencer à encourager le secteur privé à offrir des logements construits spécialement pour la location et assortis de loyers maximaux, l’objectif étant que ceux-ci représentent 20 % du parc de logements neufs au cours des dix prochaines années. Afin d’être en mesure de « concurrencer » le développement de condominiums de luxe, il devrait garantir les prêts à la construction et les hypothèques. Il devrait obliger les administrations locales à redéfinir le zonage des terrains près des corridors de transport en commun pour y construire des logements locatifs abordables, dont 20 % seraient réservés aux ménages à faible revenu bénéficiant d’une allocation-logement transférable. Les administrations locales devraient également revoir les impôts fonciers et les autres mécanismes qui favorisent la construction de condominiums. Elles devraient aussi protéger les logements locatifs abordables existants de la démolition ou de la conversion en propriété privée. Les gouvernements provinciaux doivent améliorer les droits des locataires, y compris la protection contre le racisme et d’autres formes de discrimination par les propriétaires. Le gouvernement fédéral devrait appuyer les programmes d’efficacité énergétique visant à améliorer les logements locatifs privés, en imposant comme condition un plafonnement des augmentations de loyer.
  8. Les trois ordres de gouvernement doivent revoir leurs  lesquels soutiennent actuellement la spĂ©culation dans un marchĂ© du logement de luxe surchauffĂ©. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral devrait Ă©liminer l’exonĂ©ration de l’impĂ´t sur les gains en capital pour les mĂ©nages Ă  revenu Ă©levĂ©. Il devrait envisager l’adoption d’exigences en matière d’investissement dans le logement abordable pour les banques. Les provinces et les territoires devraient envisager des « taxes sur les propriĂ©tĂ©s de luxe » d’une valeur supĂ©rieure Ă  deux millions de dollars, augmenter les droits de cession immobilière pour les maisons de luxe et amĂ©liorer la rĂ©glementation sur les propriĂ©tĂ©s vacantes, les locations Ă  court terme et les investissements Ă©trangers. Les administrations locales devraient envisager d’augmenter les taux d’imposition foncière pour les maisons de luxe.
  9. Le gouvernement fĂ©dĂ©ral doit tirer des leçons de ce qui fonctionne en allouant 10 % des budgets de tous les projets pilotes Ă  l’évaluation et Ă  la diffusion des pratiques fructueuses. Il doit fournir des donnĂ©es transparentes qui permettent de suivre les progrès accomplis dans la rĂ©alisation des objectifs et les coĂ»ts rĂ©els (et non de rĂ©annoncer diverses sources de financement sous un nouveau nom). Il doit faire de la SCHL (SociĂ©tĂ© canadienne d’hypothèques et de logement) un organisme indĂ©pendant apte Ă  entreprendre des recherches et Ă  transformer les politiques, quel que soit le parti au pouvoir. Il doit soutenir, comme par le passĂ©, l’enseignement et les travaux savants axĂ©s sur les politiques dans le domaine du logement. 
  10. Ce genre de changement transformationnel ne se produira pas si l’on augmente la capacité des planificateurs des politiques de logement à tous les échelons du gouvernement, ainsi que des fournisseurs de logements sans but lucratif. Il n’existe pas de grade universitaire en planification et politiques du logement au Canada. Cela doit changer.

A propos de l'auteur

La professeure Carolyn Whitzman est chercheure invitée de 2019 à l’Institut d’études féministes et de genre de l’Université d’Ottawa. Après avoir passé 16 ans à l’Université de Melbourne, elle travaille aujourd’hui pour le Réseau conjoint de recherche en matière de logement, financé par le CRSH et la SCHL et basé à l’Université d’Ottawa.